jeudi 19 novembre 2015

Anniversaires


On a beau se situer dans un endroit hors du temps, on vieillit quand même. Ce n'est tout compte fait pas si grave car ça nous donne une bonne excuse pour fêter quelque chose.
Un anniversaire au bout du monde, c'est tout de même assez exceptionnel. Le rituel se déroule de façon implacablement identique à chaque fois. A la fin du repas du soir, les volets du séjour sont abaissés pour faire le noir, constituant ainsi pour chacun le signal de faire un maximum de bruit (notamment par le tapotage obstiné des couverts sur les assiettes, verres et pichets). Au bout d'un certain temps, Yann "le pâteux de l'extrême" surgit de la cuisine en brandissant dans ses bras le gâteau de circonstance, ce qui a pour effet de déclencher le chant escompté parmi l'assistance. Les bougies sont soufflées, la lumière revient, et les ventres se remplissent. Tel est le rituel de l'anniversaire à DDU.



Comme je n'aurai pas l'outrecuidance de publier la photo d'un de mes camarades pris en flagrant délit de vieillissement, en voici une de ma bouille le jour de mes 26 ans.


 

vendredi 9 octobre 2015

Le vent



Cela vient comme ça disparait, sans prévenir, sans explication. Oh il y a bien des prémices, mais ils sont fugaces. Au loin la calotte glaciaire Antarctique, dont le contour est habituellement aiguisé et bleuté, s'évapore en de lentes volutes de fumées de cigarettes. Un nuage blanc compact et opaque se forme au loin sur sa surface et évolue sans bruit. En un rien de temps le mur de neige soufflée englobe la base, et obscurcit le soleil. Une poudre très fine et glaciale s'infiltre dans les moindres interstices - gare aux portes mal fermées.








Dans le "42" -le dortoir- l'on tente de trouver le sommeil malgré le bruit. Au delà des 100 km/h de vent, le batiment sur pilotis est agité de secousses, et le sifflement des haubans nous fait parfois douter du choix architectural consistant à construire à proximité de précipices.

Bruit du vent dans le 42 :




Nous avons battu notre record de vent début Août, avec un vent catabatique à 226 km/h. A ce stade, ça devient rigolo car on a l'impression d'être dans une soufflerie géante dans laquelle on avance complètement à l'aveugle et sans pouvoir tenir debout.


Bruit du vent dans Géophy (Ce batiment a la particularité de gronder au point qu'on ne s'entend plus parler. Le sifflement correspond à la porte du sas qui s'ouvre et dépresseurise la pièce. Ouille les oreilles.)





jeudi 1 octobre 2015

Le sport

La semaine dernière, au repas, nous avons eu en quelques jours : fondue bourguignonne, burger frites, pizzas, choucroute, desserts en tout genre... En Antarctique, on ne meurt pas de faim.
Face à une telle menace gastronomique, des mesures drastiques s'imposent.
Deux solutions :
  • Ne pas reprendre de dessert (demande une volonté hors norme)
  • Faire du sport régulièrement (demande aussi une volonté hors norme, mais un peu moins)


Tous les jours de la semaine (sauf le mardi, vendredi, samedi et dimanche) a lieu une séance d'une heure de torture collective organisée par François notre Dista, qui a aussi été prof de sport dans une de ses nombreuses vies. 
Pour ceux qui en veulent encore, un tas de machines sont accessibles en permanence : rameur, elliptique,  vélo (le plus utilisé), haltères, sac de boxe, et autres machines à poulies...





mardi 25 août 2015

Mini raid / AFF

Branle bas de combat dimanche dernier. L'objectif : aller à Cap Prud'homme et en ramener une caravane du Raid qui doit être aménagée.
En revêtant ma meilleure tenue de camouflage j'ai pu m'infiltrer incognito dans le Kassbauer et assister de l'intérieur au Mini Raid entre Cap Prud'homme et DDU.



13h48 tapantes : les blindés sont alignés, le moteur en chauffe. Rien de moins que trois Challengers, le Kass', et ... le quad participent à l'expédition.
Pendant que tout le monde a le dos tourné, je m'infiltre discrètement dans le Kass' (le chasse neige du mini-raid) avec mon appareil photo et mon calepin.






Arrivée à Cap Prud'homme : nous ne sommes qu'à 5 km seulement de DDU, et pourtant la température y est beaucoup plus basse. On y trouve comme prévu la caravane, qui nous observe suspicieusement, prise dans sa gangue de glace de laquelle il faudra l'arracher.
 




Première tentative de traction de la caravane avec un challenger : rien à faire, elle  résiste de toutes ses forces. Il aura finalement fallu les efforts communs des trois challengers "encordés" pour arracher la caravane de son socle de glace.

La mission est un succès. Résignée, la caravane se laisse ramener docilement à DDU, à la vitesse escargotesque de 5 km/h. En ce moment elle attend paisiblement la suite de son sort à côté de Géophy.

 


Bonus : Le Festival du Film Antarctique (AFF)

Tous les ans se déroule l'AFF, festival de courts métrages made in Antarctique, auquel participent quasiment toutes les bases. Le festival comprend deux catégories : un catégorie Libre (on soumet ce qu'on veut) et une catégorie 48h. Dans cette dernière catégorie, il faut intégrer des éléments reçus à la dernière minute, et puis on dispose de 2 jours pour écrire, tourner, et monter un film. Ensuite chacun dispose d'une semaine pour voter.
Cette année il fallait intégrer les éléments suivants :
Accessoire:   une lunette de toilette
Accessoire: des petits pois
Son:  une sorte de "Twanging Boing"
Dialogue: "It’s a very complicated algorithm"

Contrairement aux libres, les films 48h sont jugés dans plusieurs catégories:
Meilleur film
Meilleurs acteurs
Meilleure scène d'amour
Meilleur intégration des éléments imposés

Les heureux gagnants de chaque catégorie 48h ont le droit de choisir l'élément imposé l'année suivante.
A DDU, nous n'avons hélas pas gagné pour le 48h, mais nous avons décroché la première place de la catégorie Libre, qui est celui auquel j'avais participé. Inutile de me chercher dans la vidéo, je suis de l'autre côté de la caméra, et au montage.
Pour visionner les films, cliquer sur les liens ci dessous :
For Sale (Libre)

lundi 27 juillet 2015

Le Pôle Sud d'inaccessibilité

Aujourd'hui, nous allons parler des pôles d'inaccessibilité.Un pôle d'inaccessibilité désigne un point géographique le plus éloigné de toute côte. On peut ainsi construire géométriquement des pôles d'inaccessibilité aussi bien maritimes que terrestres.
Ainsi par exemple, le point Némo, situé en plein océan Pacifique, désigne le pôle maritime d'inaccessibilité, qui est donc l'endroit le plus éloigné de toute terre émergée (à une distance de 2688 km).

Fait rigolo : en 1997 une équipe du NOAA a détecté un son d'ultrabasse fréquence d'origine inconnue provenant de cette zone : le bloop.
Autre fait rigolo : c'est aussi dans ce coin là que H.P Lovecraft a imaginé se trouver Cthulhu : un gigantesque monstre millénaire assez moche et plein de tentacules (L'appel de Cthulhu, 1926).
Écoutons le bloop pour se faire l'idée du son que peut produire un gigantesque monstre millénaire assez moche et plein de tentacules :


Si ça peut vous rassurer, l'hypothèse la plus probable est que ce son serait en fait produit par les tremblements d'un énorme iceberg inoffensif et sans aucune tentacule (même si au fond c'est un peu décevant).
Encore un fait rigolo, on ne s'arrête plus, c'est que comme peu de routes maritimes passent vers le point Némo, nos congénères humains les plus proches du point d'inaccessibilité maritime sont vraisemblablement les astronautes de l'ISS (à 400 km d'altitude).
J'en viens à L'Antarctique, car au fond vous êtes là pour ça, et vous avez bien raison. Hé bien avant de continuer je vous propose de répondre à ma devinette à 1000 francs : Bon sang mais que trouve-t-on au point d'inaccessibilité Antarctique ?
Maintenant que vous avez répondu à la petite devinette, vous avez le droit d'afficher la réponse en cliquant sur le bouton ci-dessous :



Félicitations, vous l'avez deviné, la bonne réponse était bien évidemment "Un Lénine en plastique" !

Comment diable un Lénine, qui plus est en plastique, a-t-il pu atterrir au point le plus difficile à atteindre sur Terre ?
Pendant l'année géophysique internationale, en 1958, une expédition soviétique atteint le pôle d'inaccessibilité à 3662 mètres d'altitude, ils y construisent la station Sovetskaïa pour y mener des travaux de recherche.La station est abandonnée quelques mois plus tard. Avant de partir, les soviétiques fixent le buste du camarade Lénine sur la cheminée.
Au fil des années, les bâtiments se sont inexorablement enfoncés dans la glace, ne laissant plus dépasser que la statue. En creusant sous la glace, on peut encore retrouver le bâtiment d'origine avec un livre d'or à signer pour les visiteurs (il doit rester encore pas mal de pages).
Photos prises par la Team N2i en 2006 :



Pour comparer, voici des photos du bâtiment prises en 1965 (Olav Orhelm/Norwegian Polar Institute).
 


En bonus, le land art Constellations (2006) de l'artiste Lita Albuquerque, qui a bien été installé en Antarctique mais près de McMurdo. 99 sphères bleues dont la taille est proportionnelle à la luminosité de l'étoile qu'elles représentent. (Photos : Jean de Pomereu)





jeudi 23 juillet 2015

14 juillet



Bleu : un dista.
Blanc : de la neige, beaucoup.
Rouge : un rang de 15 VTN avec autant d'hivernants à l'intérieur.



Le 14 juillet à DDU, c'est d'abord exhumer à tâtons un mât sous le mètre de neige qui est tombé la veille.
S'ensuit la cérémonie avec lever du drapeau puis discours de circonstance. Apéritif au chaud dans le séjour, Django et Grappelli nous jouent la Marseillaise. Hélas, pas de VAT artificier cette année non plus pour illuminer le ciel DDUien, dommage.




Le drapeau, probablement las de flotter sans plus personne pour l'admirer, profita le lendemain du catabatique de 9 heures 10 pour s'envoler vers d'autres horizons.

Bonus : Quelques motivés avaient réussi à construire, au prix de plusieurs jours d'efforts considérables,  un gigantesque igloo entre Géophy et la Météo... qui a résisté quelques jours. La vorace congère de derrière, alimentée par les catabatiques, aura rapidement eu raison de l'ouvrage qui a entièrement été englouti.

mercredi 22 juillet 2015

Le Syndrome

Ohé ! Je fête mon grand retour sur Internet après une trèèès longue pose, avec pour l'occasion un article on ne peut plus dans le thème car je vais vous parler du plus grand ennemi de l'hivernant, si terrible que la simple évocation de son nom provoque émois, sueurs froides et tremblements parmi la population : l'effroyable Syndrome Mental d'Hivernage ... brrr ! 



Voyez-vous, j'ai bien peur que la cause de ma longue absence (vous aurez peut-être constaté que d'autres blogs ont aussi été touchés, non non, je ne donnerai pas de nom, n'insistez pas) ne soit autre que la raison sus-citée.
Symptômes du Syndrome d'hivernage :
Le Syndrome est régulièrement sujet à discussions et plaisanteries ici à DDU. Tout comportement sert de prétexte pour signaler à untel qu'il est syndromé, ce à quoi il est d'usage de répondre "Mais non, pas du tout" : preuve irréfutable qu'il l'est bel et bien (car le syndromé est obligatoirement dans le déni). En vrac, pour vous montrer que c'est du sérieux voici quelques symptômes piochés dans la thèse "Enjeux Psychologiques du retour des missions isolées : le cas des hivernants polaires français" d'Amaury Solignac (2010) (je crois personnellement avoir développé l'hypersomnie depuis quelques années)
  • irritabilité
  • hostilité
  • troubles du sommeil
  • difficultés de concentration et mémorisation
  • distractivité
  • indifférence
  • vulnérabilité affective
  • états hypnotiques
  • léthargie
  • troubles digestifs
  • hypersomnie
  • paranoïa
  • rumination mentales obsédantes
Mais surtout (houuuulalaaaaa) :
  • bouffées délirantes polymorphes
  • réactions pseudo-maniaques
  • accès psychotiques shizophréniformes

 

Mais il ne faut pas s'inquiéter pour autant, le Syndrome disparait miraculeusement lors du retour à la civilisation, ne laissant que les bons souvenirs. OUF !

Bonus : lien vers la thèse en question

jeudi 23 avril 2015

Plein de trucs : partie 1/2


Voilà un petit moment que je n'avais pas publié. Ce n'est pas encore le syndrome d'hivernage qui en est la cause, fort heureusement. Bien au contraire, les projets se multiplient et les journées sont bien remplies. Je vais donc faire un petit résumé de ce qu'il s'est passé depuis un peu plus d'un mois, et si les nouvelles ne sont pas très fraîches du point de vue de la date, elle le sont du moins par la température.

Soirée tropicale


Le soleil commençant à se faire rare, une petite équipe dont je fais partie a décidé de lancer un projet secret visant à amener un peu de chaleur tropicale synthétique dans cet endroit qui en manque cruellement. Quelques chiffres : 3 semaines de préparation, 8 heures passées en cuisine à fabriquer samoussas et bouchons, 15m² de cartons et  6 litres de peinture utilisés pour les décors.













Pâques


Les cloches de Pâques ont réussi à trouver le chemin jusque chez nous, avec comme il se doit, leur cargaison de chocolat. Nous avons eu le droit à une chasse aux œufs orchestrée par Yann notre pâteux, qui a travaillé pendant des semaines sur l’événement en fabriquant une telle quantité de chocolats qu'il en reste encore à l'heure où j'écris (certes, pas beaucoup). Depuis ma plus tendre enfance, j'ai toujours été particulièrement mauvais en terme de chasse aux œufs, et ce n'est pas sans amertume que je constate être toujours aussi handicapé dans le domaine à l'approche de mes 26 ans : je suis en effet arrivé bon dernier de la base.
Répartis par équipes de 2, chaque binôme s'est vu recevoir une énigme devant le guider vers un lieu de la base où se trouve pour chacun un œuf en chocolat. Je fais équipe avec Bertrand sur ce coup là.



L'astuce consistait à ne prendre que la première lettre de chaque mot pour trouver le lieu : en l'occurence "Bureau Glacio". Mauvaise digestion ? Manque de sommeil ? Combinaison des deux ? on ne sait pas trop, mais un phénomène fait que ni Bertrand ni moi ne percutons. Finalement, 10 minutes après que chaque binôme se soit élancé vers son lieu respectif (et la plupart déjà revenu), nous comprenons la subtilité du message et bondissons avec empressement vers le bureau glacio.

Là, je ne saurais pas dire combien de temps nous avons passé à rechercher ces satanés oeufs, mais il est ridiculement long. Après avoir fouillé chaque tiroir et chaque recoin d'étagère, regardé derrière chaque porte, ouvert chaque sac et chaque carton, impossible de mettre la main sur l'oeuf. On demande des précisions aux organisateurs. Pas d'erreur : l’œuf est bien dans la pièce même, tout proche mais pourtant inatteignable. Reprise des recherches de plus belle, passage de la pièce avec nombre de peignes fins... Et soudain, miracle inespéré : l'Oeuf. Caché en évidence sur l'ordinateur.



A l'intérieur de l’œuf se trouvaient encore quelques confiseries aux durées de vie étrangement courtes, et un proverbe chinois (?): "On ne peut pas marcher en regardant les étoiles quand on a une pierre dans son soulier"...



Les premiers de la course ont eu le droit de se partager un trophée, qu'en connaissance de cause je n'espérais de toute façon pas remporter.



Ne vous éloignez pas trop de vos postes, car dans la deuxième partie de cet article nous parlerons de banquise, de la mer, et aussi de manchots.

samedi 4 avril 2015

Aurores #1



-Hé les gars ! Y'a une ****** d'aurore dehors !
C'était devenu la blague récurrente du moment, et à force plus personne ne daignait réagir. Il faut dire qu'elles se sont fait attendre ces aurores. Alors pendant toute la première moitié du mois de Mars, malgré l'épais mur de neige qui nous empêchait de voir à plus de 10 m il était de rigueur de scander cette phrase à l'assistance sitôt entré dans un bâtiment, et ce pour observer, au bout de quelques secondes, les mines renfrognées de ceux qui réalisaient s'être fait berner.

Sauf qu'à l'instar du garçon qui criait au loup, ça a fini par se produire pour de vrai.

Bon. Il faut que je sois honnête alors je vais allègrement briser un mythe : les photos d'aurores vert fluo c'est de l'arnaque. Voilà c'est dit. En vérité la première fois qu'on tombe sur une aurore on se demande un peu ce que c'est; ça ressemble à un nuage grisâtre éclairé depuis le sol, sauf que si on le regarde plusieurs secondes on le voit bouger de façon pas naturelle, je veux dire pas naturelle pour un nuage. Au bout de quelques minutes d'attente pour s'habituer au noir, on arrive tout de même à distinguer une vague couleur verdâtre caractéristique (sachant qu'il faut attendre environ 1/2 heure pour atteindre la sensibilité maximum en vision scotopique (ie. dans l'obscurité) : une histoire de bâtonnets sur la rétine et de molécules de rhodopsine. Les bâtonnets, s'ils sont très sensibles à la lumière, ne permettent pas de bien distinguer les couleurs).

Voici une simulation assez fidèle de la différence entre la réalité et la photographie :


Attention, n'allez pas mal interpréter ce que je dis, une aurore reste un spectacle magnifique. Celle-ci fendait le ciel de part en part on ondulant lentement tel un gigantesque rideau de douche céleste, et ça aurait été un vrai plaisir de rester plus longtemps dehors à faire des photos s'il n'avait pas fait -20°C et que je ne sentais plus mes doigts.